Je suis responsable du parcours de licence Musiques actuelles, au département de musicologie, depuis 2014. Depuis ma prise de fonction, mon action a été guidée par une conviction profonde : pour favoriser l’insertion professionnelle des étudiants, il est indispensable de faire connaître et valoriser ce diplôme auprès de la filière, de faire rencontrer étudiants et professionnels en activité, et de sortir les étudiants et leur pratique des murs de l’institution.
Parmi différentes initiatives allant dans ce sens, je souhaite vous exposer celle qui me semble être la plus ambitieuse, la plus intéressante et, bien entendu, la plus difficile à mettre en œuvre.
Il s’agit d’un dispositif de pédagogie par projet axé autour de plusieurs cours de la maquette de musicologie : pratique musicale, professionnalisation, mais aussi histoire de la musique. Il s’agit de choisir, chaque année, une œuvre discographique marquante de l’histoire des musiques populaires, et de la faire interpréter par un groupe d’étudiants dans un lieu de diffusion professionnel de la ville : La Laiterie, l’Espace Django Reinhardt, etc. Ce projet important et motivant permet de mobiliser différents profils d’étudiant : certains vont travailler sur la technique, d’autres sur l’artistique, d’autres sur des aspects plus commerciaux, administratifs ou médiatiques. Il a une valeur pédagogique incomparable, en mêlant des domaines de compétences très divers habituellement abordés dans des cours différents. Il permet également de faire connaître nos étudiants et leurs compétences aux professionnels de la filière : ceux qui les accueillent en premier lieu, mais également ceux que nous invitons à assister à la représentation finale. Inversement, les étudiants découvrent « le terrain » des musiques actuelles, habituellement fermé au public : l’envers du décor, la partie cachée du travail comme les balances, la préparation technique, les enjeux commerciaux et administratifs.
J’ai mené un premier projet en 2016 (50 ans de Pet Sounds des Beach Boys, à La Laiterie), un second qui n’a pas bien fonctionné en 2017 (50 ans de Sergent Pepper’s des Beatles, au Mudd), et un troisième en 2019 (50 ans de In The Court Of The Crimson King de King Crimson, à l’Espace Django).
Mon objectif était de faire un album par an, ce que je n’ai pas trouvé l’énergie de réaliser. Car ces projets sont à la fois chronophages et énergivores à un niveau bien supérieur que n’importe quel autre cours. Bien entendu, ce temps et cette énergie ne sont à aucun moment compensés…
Tout le monde trouve l’idée géniale ! Mais, dès lors qu’il s’agit de la réaliser, je me suis heurté à de nombreuses difficultés :
– L’absence de pérennité des moyens pour réaliser ces projets : mes projets en 2016 et 2019 ont été suffisamment subventionnés (par le SUAC, la DRAC, l’IdEx…), mais ces aides sont toujours exceptionnelles, et la nécessité de reproduire de long et complexes dossiers de demande de financement fait perdre une énergie et un temps considérables. Par exemple, ce ne sont pas les mêmes AAP qui ont financé les deux projets (ceux de 2016 ont refusé en 2019).
– Des difficultés structurelles : une faculté n’est pas une structure taillée pour l’organisation de concert et de nombreux problèmes se posent, notamment concernant la billetterie.
– Le scepticisme des professionnels, qui n’ont pas toujours été faciles à convaincre.
Malgré le succès sur toute la ligne de mon concert 2019 (salle comble, professionnels invités et hôtes sous le charme, réussite artistique, bon niveau de subventionnement qui a permis de s’approcher au mieux des conditions professionnelles), j’ai décidé de ne pas en faire en 2020. Le matin du concert, j’étais malade, à bout physiquement et mentalement ce qui s’est traduit pas une association de symptômes que je n’avais encore jamais ressentie auparavant : nausée, mal de tête… J’étais tout simplement épuisé d’avoir cumulé mes cours habituels, la préparation de ma thèse en parallèle, et ce projet. Malgré la réussite déjà acquise de l’événement, je ne me voyais pas recommencer (car j’ai compris d’expérience qu’il faut s’y prendre un an à l’avance pour que tout fonctionne). J’ai préféré confier cet enseignement de pratique à un chargé de cours avec une approche plus classique et « normale », et renoncer au moins pour un temps à mon idéal.
Il y a quelques temps, un professionnel de la filière qui avait assisté au dernier concert est venu me rencontrer pour me dire que les autres professionnels, notamment les salles, avaient enfin compris l’intérêt de ce dispositif et qu’ils étaient à leur tour les « demandeurs », tandis que j’avais de mon côté jeté l’éponge… Nous allons probablement passer par une Mission Professionnelle pour qu’un concert ait finalement lieu cette année, mais hors des cours.
Ce projet « King Crimson 50th », lancé en 2019, a bénéficié du soutien financier de l’IdEx et de celui de la faculté des arts.
À propos de Sébastien Lebray
Au moment de ce témoignage, Sébastien Lebray est responsable du parcours de licence Musiques actuelles au département musicologie de la faculté des arts depuis 2014.